En France, les réseaux électriques de distribution ont un rôle crucial dans le système électrique et incarnent les piliers fondateurs de la solidarité des territoires, ainsi que de la réalisation d’un service public de l’électricité. La thèse propose d’étudier la trajectoire des réseaux électriques de distribution dans une approche à la fois rétrospective et prospective en revenant sur les mutations subies ou, au contraire, amorcées
par le distributeur.
De la loi du 15 juin 1906 organisant la gestion de la distribution d’électricité à la nationalisation de l’électricité et du gaz de 1946 en passant par l’ouverture des marchés de l’énergie survenue à la fin du XXe siècle, l’environnement technico-économique puis régulatoire des réseaux de distribution a connu de profondes restructurations. L’objectif de cette thèse est de déterminer et d’analyser l’histoire nationale de la distribution d’électricité sur le temps long en étudiant ses étapes, ses bifurcations, ainsi que ses tensions d’ordre industriel et organisationnel.
La première partie aborde la naissance du service public de la distribution d’électricité, l’électricité arrivant progressivement dans les foyers urbains français avec la construction des proto-réseaux électriques. À la dimension mythologique portée par cette nouvelle forme d’énergie succède une « mystique » de l’interconnexion électrique dans les années 1930. S’ensuit l’électrification rurale des territoires à un rythme soutenu jusqu’à la veille du second conflit mondial, grâce à l’appui des collectivités locales et la réalisation d’un compromis historique entre la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies et les sociétés productrices et distributrices d’énergie électrique.
La deuxième partie expose l’avènement de la distribution et des réseaux électriques à la suite de la création d’Électricité de France en 1946. La distribution d’électricité, devenue nationale, est alors au cœur de la technostructure institutionnelle, administrative et territoriale de l’électricien. L’activité de la distribution se développe avec l’innervation électrique de la France, particulièrement dans la décennie 1960, marquée par l’éclosion de la société de loisirs. EDF réalise dès lors son tournant commercial en 1963 avec la mise en œuvre de sa politique d’accession à l’énergie et le déploiement des premiers compteurs bleus, annonçant la libération de la puissance pour les foyers domestiques français. Après le tout électrique, les deux dernières décennies du xxe siècle révèlent les incertitudes technico-politiques qui planent sur EDF et la distribution à l’heure des impératifs de la compétition européenne.
Enfin, la troisième partie met en lumière la résilience des réseaux de distribution suite à leur individualisation et leur indépendance dans le système électrique. En outre, l’ouverture des marchés de l’énergie motive EDF à restructurer son modèle quand dans le même temps, une nouvelle donne électrique voit le jour au début du xxie siècle. L’apparition de la régulation pose les bases d’une nouvelle conception de la tarification
des réseaux électriques — mais aussi celles de la séparation des activités de transport, de production et de distribution et surtout du démixtage du gaz et de l’électricité, réunis depuis plus d’un demi-siècle. Le gestionnaire de réseau de distribution (GRD) ERDF est alors consacré en 2008, un GRD dont le rôle et la position seront pleinement affirmés après la création d’Enedis huit ans plus tard. Avec le déploiement des smart grids et des smart meters et à l’orée des transitions énergétique et numérique, les réseaux électriques de distribution sont bel et bien au cœur du développement des énergies renouvelables, de la mobilité électrique et des nouvelles flexibilités. À l’aube d’une nouvelle électrification de la France, les réseaux électriques de distribution et leur gestionnaire Enedis ouvrent dès lors les perspectives d’une nouvelle frontière pour l’activité.
Laboratoire d’accueil
La thèse fut réalisée au sein de l’unité de recherche du Centre d’Études des Mondes Modernes et Contemporains (CEMMC), en collaboration avec la chaire Réseaux Électriques et Sociétés en Transition(s) (RESET) et l’entreprise Enedis. Créée en 2017, la chaire accueille des chercheurs en sciences humaines et sociales dans l’ambition de repenser le rôle des réseaux électriques et des dynamiques associées aux trajectoires de transition énergétique et numérique.
Ce travail s’est ainsi inscrit dans les jalons des programmes de recherches-actions de la chaire, valorisant des travaux académiques centrés sur la sobriété énergétique, la culture de l’électricité et les enjeux de prospective liés au devenir du système électrique. Les actualités de la chaire RESET sont à retrouver ici : https://chairereset.hypotheses.org/.
L’unité du CEMMC de l’Université Bordeaux Montaigne coordonne quant à elle des programmes pluridisciplinaires, des colloques et des publications scientifiques au sein du paysage universitaire néo-aquitain. Les travaux du centre croisent à la fois les approches historique, géographique et civilisationniste dans une volonté de diffusion des savoirs. Les actualités du CEMMC sont à suivre ici : https://cemmc.hypotheses.org/.
Soutenance de la thèse
La thèse intitulée « Concevoir et percevoir les réseaux électriques de distribution en France de la rétrospective à la prospective (XXe-XXIe siècles) : enjeux technocritiques, représentations entrepreneuriales et solidarités territoriales » a été soutenue le 20 juin 2023 à l’Université Bordeaux Montaigne devant un jury composé de : Yves Bouvier (professeur, Université de Rouen Normandie – rapporteur) ; Rémy Coin (avocat, docteur en droit) ; Anne Dalmasso (professeure, Université Grenoble Alpes – rapporteure) ; Alexandre Fernandez (professeur, Université Bordeaux Montaigne – président du jury) ; Jean-François Vaquieri (secrétaire général, Enedis) et Christophe Bouneau (professeur, Université Bordeaux Montaigne – directeur de thèse).
Un résumé de la thèse est disponible ici : https://www.theses.fr/2023BOR30024.
Et après la thèse ?
Benjamin Jouve est actuellement senior consultant en énergie au sein du cabinet de conseil Colombus Consulting et est également chercheur associé à la chaire RESET. Par ailleurs, il poursuit ses travaux sur la distribution d’électricité et le système électrique au sens large.