La transition énergétique européenne implique une transformation profonde du secteur électrique, avec un déploiement important des énergies renouvelables en Europe et une électrification croissante de l’économie. Si cette transition a été principalement conçue du point de vue de l’offre, l’intégration de la demande devient désormais cruciale pour son succès, notamment pour faciliter l’intégration des énergies renouvelables et réduire le recours aux combustibles fossiles en période de pointe. Le déploiement des compteurs intelligents témoigne de ce changement de paradigme, et ouvre désormais la voie à une participation plus active de la demande. Cependant, malgré des résultats empiriques montrant les bénéfices associés à la flexibilité de la demande, les innovations tarifaires et l’intégration de la demande aux marchés de l’électricité restent faibles. La crise énergétique de 2021-2023 a cependant réaffirmé les bénéfices potentiels d’une participation accrue des consommateurs à l’équilibre offre-demande, en permettant de réduire la consommation lors des périodes de tension.
Cette thèse analyse trois questions fondamentales : l’émergence de la flexibilité de la demande dans les marchés libéralisés de l’électricité, le design tarifaire permettant de transmettre des signaux-prix aux consommateurs dans un système en décarbonation, et la coordination offre-demande dans un contexte d’électrification rapide. L’analyse s’appuie sur un modèle d’optimisation permettant d’étudier le dispatch économique des centrales et les investissements nécessaires afin de répondre à la demande, complété par des modèles d’élasticité-prix et d’investissements bas carbone industriels, notamment dans le secteur
chimique européen.
Les résultats montrent que la flexibilité de la demande reste largement sous-exploitée, comme l’illustrent les cas de la France, de l’Allemagne et de la zone PJM aux États-Unis. Bien que le potentiel identifié soit considérable, son intégration actuelle dans les marchés de l’électricité ne permet que partiellement de répondre aux besoins futurs, notamment pour faciliter l’intégration des énergies renouvelables ou gérer des crises comparables à celle de 2021-2023. Les tarifs dynamiques existants apparaissent particulièrement inadaptés face à la montée en puissance des énergies renouvelables. La généralisation de tarifs à pointe mobile et la révision des plages horaires heures pleines/heures creuses pourraient offrir des solutions pertinentes. De telles évolutions permettraient de réaliser une économie d’environ 10 % sur les prix de l’électricité d’ici 2030. Pour encourager une adoption plus large des tarifs dynamiques, un prérequis est de repenser le différentiel de prix entre les périodes de pointe et les périodes creuses. Celui-ci étant amené à croître dans les scénarios prospectifs considérés, il impactera nécessairement le niveau de modulation mais aussi la perception du risque pour les consommateurs. Enfin, cette thèse souligne l’importance d’une coordination de long terme entre l’électrification industrielle et le développement de la production d’électricité. En faisant reposer la charge de la décarbonation sur la production d’électricité, l’électrification des industries pourrait engendrer des effets adverses si les investissements ne sont pas coordonnés, résultant en une inadéquation offre-demande pouvant entraîner une hausse des prix de l’électricité ou un accroissement temporaire des émissions de gaz à effet de serre. Historiquement, les industries électro-intensives ont eu recours à des contrats d’approvisionnement à long terme pour sécuriser leurs coûts énergétiques. Désormais, d’autres secteurs devront aussi adopter ces contrats afin d’apporter plus de stabilité et de visibilité à l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur.
En conclusion, cette thèse contribue à la compréhension des modalités d’une participation accrue de la demande aux marchés de l’électricité et offre aux décideurs des recommandations pour soutenir l’émergence de la flexibilité.
Laboratoire d’accueil
La thèse a été préparée au CERNA. Le CERNA est le centre d’économie industrielle de l’École nationale supérieure des mines de Paris (Mines Paris – PSL), une équipe de l’institut interdisciplinaire de l’innovation (i3, UMR CNRS 9217), un pôle de recherche et d’enseignement rassemblant 180 économistes, gestionnaires, sociologues et psychologues de Mines Paris – PSL, de Télécom ParisTech et de l’École polytechnique.
Le CERNA mène des recherches dans le domaine de l’économie industrielle et de l’innovation, de l’économie de l’énergie et de l’économie de l’environnement. Ses travaux portent notamment sur l’analyse des marchés de l’énergie, les politiques climatiques et la transition énergétique. Le CERNA est rattaché à l’École doctorale « Sciences de la Décision, des Organisations, de la Société et de l’Échange » (SDOSE), commune à l’Université Paris Dauphine – PSL et à Mines Paris – PSL. Elle est portée par l’Université PSL et rattachée au collège doctoral de PSL.
Cette thèse a été effectuée en partenariat avec Deloitte et son équipe « Economic Advisory ».
Pour plus d’informations : https://www.cerna.minesparis.psl.eu/Presentation/.
Soutenance de la thèse
La thèse a été soutenue le 8 novembre 2023 à Mines Paris PSL, devant le jury composé de Nadia Maïzi, professeur, Mines Paris PSL (présidente) ; Carine Staropoli, professeur, Paris School of Economics, et maître de conférences HDR, Université Paris 1-Panthéon Sorbonne (rapporteure) ; Olivier Massol, professeur, IFP School (rapporteur) ; Manuel Villavicencio, directeur, Deloitte (examinateur) ; François Lévêque, professeur,
Mines Paris PSL (directeur de thèse).
La thèse est disponible sur : https://theses.fr/2023UPSLM054 et sur demande auprès de l’auteur.
Et après la thèse ?
Clément Cabot poursuit ses recherches sur la transition énergétique au sein de l’équipe d’économistes de l’énergie du groupe SSE plc. Il travaille notamment sur le design du marché électrique et des mécanismes de soutien aux énergies renouvelables, en France et en Europe.