Le bien commun, le climat et le marché. Réponse à Jean Tirole, Benjamin Coriat, éd. Les Liens qui libèrent
Ce très intéressant petit livre met en avant un point souvent méconnu : la divergence des points de vue théoriques entre les économistes quand on s’intéresse à la lutte contre le changement climatique. Benjamin Coriat est un professeur émérite d’économie qui dans sa « réponse à Jean Tirole » propose une analyse et des conclusions sensiblement différentes de celle du prix Nobel d’Économie 2014. Il s’appuie d’ailleurs largement sur les travaux d’Elinor Ostrom, qui fut la première femme à obtenir le prix Nobel d’Économie en 2009. Cette économiste américaine avait reçu le prix Nobel notamment pour ses travaux sur l’économie des commons, qui peuvent être compris à la fois comme le bien commun (l’idée d’un patrimoine favorable au bonheur de l’humanité) ou les biens communs (des ressources partagées par tous, parmi lesquels on peut citer le climat). Au-delà des mots, il s’agit bien d’une opposition entre deux courants principaux de la science économique : les orthodoxes qui représentent le courant majoritaire et les hétérodoxes auquel appartient le courant de la nouvelle économie institutionnelle. On pourrait ne voir dans ce livre que des querelles de spécialistes s’il ne montrait pas les fortes divergences en termes de politiques climatiques.
Pour Jean Tirole, chaque acteur n’est guidé que par son intérêt et on ne peut atteindre un optimum collectif qu’en empêchant chaque acteur d’agir égoïstement tout en restant rationnel : tel est l’objectif des marchés de droits à polluer, au cœur du débat, qui ont pour but d’orienter les décisions individuelles vers l’optimum social. Benjamin Coriat conteste ce choix et affirme que les intérêts individuels, même régulés par un marché, ne peuvent atteindre cet objectif : la démonstration reprend les arguments avancés par Jean Tirole et soutient la thèse « qu’il n’y a pas, s’agissant d’un marché entièrement artificiel, […] de ‘‘bonne’’ architecture possible. » Les marchés carbone sont d’ailleurs étudiés très finement par l’auteur qui met en évidence les difficultés rencontrées dans leur mise en œuvre. Benjamin Coriat suggère de revenir aux travaux d’Elinor Ostrom, dont ceux consacrés au climat, et à son orientation vers une « gouvernance polycentrique » qui repose sur des organisations à plus petite échelle de la gestion des biens communs, sans nécessairement de règles de marché. Pour assurer la cohérence des décisions, là où les économistes orthodoxes mettent en avant la « main invisible » du marché, les hétérodoxes assurent que c’est le débat démocratique qui jouera ce rôle dans une gouvernance polycentrique. Et Benjamin Coriat de donner l’exemple de la Convention citoyenne pour le climat. Un livre à lire si l’on veut comprendre les oppositions qui ne sont pas que théoriques sur des enjeux très contingents.