Pour lutter contre le changement climatique, l’Europe s’est engagée à décarboner son système énergétique d’ici 2050. Le système électrique avec son important potentiel bas carbone peut contribuer à la décarbonation d’autres vecteurs (hydrogène par exemple), qui auront donc tendance à s’électrifier davantage. Cette thèse s’est donc concentrée d’une part sur la décarbonation du système électrique, et d’autre part sur les interactions entre les différents vecteurs énergétiques.
La décarbonation du vecteur électrique reposera en particulier sur l’utilisation des énergies renouvelables. Or, les études qui évaluent leur potentiel obtiennent des valeurs très différentes. Le premier chapitre, à travers une revue systématique de la littérature, examine la variabilité des valeurs de potentiel éolien et photovoltaïque en Europe. Ce chapitre montre que les limites surfaciques des potentiels ne sont pas restrictives, et que la variabilité des valeurs est due à l’ajout de critères sociopolitiques dans les calculs de potentiel. In fine, la limite au développement des énergies renouvelables ne sera pas la faisabilité technique mais la volonté politique et sociétale et les contraintes du secteur industriel, y compris la disponibilité des ressources naturelles nécessaires, comme les métaux par exemple.
Le deuxième chapitre a pour objectif d’étudier le fonctionnement et les prix du système énergétique européen en 2050, à capacités fixes. Le système électrique, les systèmes gaziers (méthane et hydrogène) et les réseaux de chaleur sont représentés, avec les demandes, les approvisionnements, les échanges entre pays européens et les interactions entre les vecteurs modélisés (notamment électrolyse, méthanation, production d’électricité à partir de méthane et d’hydrogène, vaporeformage du méthane…). La modélisation a amélioré celle développée par RTE dans ses Futurs énergétiques 2050 dans la représentation des vecteurs hydrogène et méthane et par l’ajout des réseaux de chaleur en France. Dans le système étudié, l’hydrogène est fourni par l’électrolyse et les importations d’hydrogène vert extraeuropéen. L’analyse des prix de l’hydrogène montre qu’ils sont principalement fixés par ces imports avec un effet de lissage des prix par les stocks. Cela se répercute sur les prix de l’électricité, fixés alors par l’électrolyse pendant environ deux tiers de l’année et donc très dépendants du prix des importations de gaz vert et de la gestion des stocks. Ainsi, les prix de l’électricité restent dépendants du prix des combustibles importés, même décarbonés, en 2050. Par ailleurs, pour fonctionner de manière optimale, un tel système nécessite un haut niveau de coordination entre les vecteurs : les variantes qui dégradent la coordination montrent une augmentation significative des coûts d’exploitation du système énergétique (7 à 10 %). Elles mettent en évidence l’enjeu important de la coordination et de la régulation pour le fonctionnement efficace d’un système énergétique couplé, avec des coûts opérationnels maîtrisés.
Enfin, un troisième chapitre a traité des conséquences des couplages énergétiques sur les besoins en flexibilité. Des indicateurs de coûts et de besoins en énergie et en capacité flexibles sur plusieurs échelles de temps ont permis d’analyser des variantes, qui portaient sur chaque vecteur et sur chaque type de capacité (production, stockage et interconnexion). L’identification des variantes les plus influentes sur le système a permis de déterminer les caractéristiques les plus cruciales pour sa flexibilité dans les hypothèses de notre étude : il s’agit d’une bonne coordination entre vecteurs, de nouvelles centrales électriques fonctionnant à l’hydrogène plutôt qu’au méthane, des interconnexions électriques et du stockage de l’hydrogène. En particulier, donc, l’intérêt de la coordination entre les vecteurs a été confirmé : en plus d’économies sur les coûts opérationnels, elle permet d’éviter des investissements massifs.
Laboratoire d’accueil
Cette thèse a été réalisée à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), dans la formation doctorale « Territoires, Sociétés, Développement » et hébergée au sein du CIRED (Centre international de recherche sur l’environnement et le développement). Unité mixte de recherche du CNRS, de l’École des Ponts ParisTech, du CIRAD, de l’EHESS et d’AgroParisTech (UMR 8568), le CIRED étudie depuis 50 ans les conditions d’articulation entre enjeux d’environnement et enjeux de développement. Ses travaux concernent à la fois les grands systèmes (systèmes énergétiques, systèmes urbains, usage des sols), l’articulation environnement/développement à l’échelle d’économies tout entières (pays, monde), ainsi que les conditions de la transition écologique. L’économie et les sciences sociales constituent le centre de gravité disciplinaire du laboratoire, mais il dialogue aussi avec les sciences du climat, de l’environnement ou encore les sciences de l’ingénieur.
Plus d’informations : https://www.centre-cired.fr/.
Soutenance de la thèse
La thèse a été soutenue le 7 février 2023 au CIRED. Le jury était présidé par Anna Creti, professeur à Université Paris Dauphine-PSL. Les rapporteurs étaient Robin Girard, enseignant chercheur, HDR à Mines Paris-PSL et Magnus Korpås, professeur à Norwegian University of Science and Technology. Julie Sliwak, ingénieur de recherche, docteur, chez GRTgaz, y était examinatrice. Enfin, Philippe Quirion, directeur de recherche CNRS au CIRED, dirigeait cette thèse. La thèse a été effectuée dans le contexte d’un partenariat CIFRE (Convention industrielle de formation par la recherche) entre le CIRED et la R&D de RTE. Au sein de cette dernière entité, Marc Le Du et Virginie Dussartre ont été les responsables scientifiques.
La thèse est consultable sur : https://www.theses.fr/2023EHES0014.
Et après la thèse ?
Marie-Alix Dupré la Tour poursuit ses travaux en économie de l’énergie au sein du pôle Études Économiques et Environnementales (PEEE) de la direction Économie du Système Électrique (DiESE) de RTE. Elle continue à s’intéresser aux coûts du système énergétique et aux prix de l’électricité.